En Inde, le gouvernement du Bihar a mis en place une interdiction totale de l’alcool, c’est-à-dire sa fabrication, sa vente, son stockage et sa consommation depuis avril 2016.
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[Photographier: Nikita Sharma].
L’interdiction de l’alcool au Bihar, en Inde, a-t-elle réduit la violence contre les femmes?
En Inde, le gouvernement du Bihar a mis en place une interdiction totale de l’alcool, c’est-à-dire sa fabrication, sa vente, son stockage et sa consommation depuis avril 2016. Cette politique vise à réduire la violence domestique et freiner les achats abusives d’alcool prélevés sur l’argent des ménages, ayant comme conséquent l’appauvrissement des ménages et une menace sur les conditions de vie des femmes.
Bien qu’un tel cadre politique ne puisse véritablement aborder la question complexe de la violence contre les femmes, y compris ses racines profondément ancrées dans le patriarcat et autres structures socio-économiques, cette initiative innovatrices est basée sur des des preuves convaincantes tirées de conséquences socio-économiques et psychologiques négatives, y compris la violence domestique, l’alcoolisme, en particulier des niveaux «nocifs » et «dangereux» de consommation d’alcool.
Consommation d’alcool et violence contre les femmes avant que l’alcool ne soit interdit
Au Bihar, l’étude nationale de 2015-16 sur la santé de la famille montre que près de 30% de la population masculine entre 15 et 49 ans consommait de l’alcool avant son interdiction. La population féminine, elle, était victime de nombreux incidents de violence conjugale – 40% des femmes déjà mariées entre 15 et 49 ans ont déclaré avoir subi des violences physiques, sexuelles ou émotionnelles de la part de leur mari au cours des 12 mois précédents. De plus, alors qu’environ 25% des femmes dont le mari ne consommait pas d’alcool ont été victimes de violence de la part de leur mari, 75% des femmes dont le mari s’enivrait «très souvent» ont été victimes de violence conjugale. Dans ce contexte, quel impact cette politique d’interdiction a-t-elle eu sur la violence? Que nous montrent les archives judiciaires compilées par le National Crime Records Bureau [l’agence gouvernementale responsable des statistiques judiciaires] ?
Incidence de violence contre les femmes après la mise en oeuvre de l’interdiction de l’alcool
Selon les statistiques, le nombre d’incidences de violence contre les femmes a légèrement diminué dans l’État de Bihar et particulièrement dans la ville de Patna (la capitale de l’État) après l’interdiction de l’alcool (tableau 1).
Tableau 1: Délits contre les femmes (sauf enlèvements et crimes sous la rubrique Lois spécifiques et locales)
Pour éviter les fluctuations d’une année sur l’autre, nous avons comparé la moyenne des délits signalés sur une période de trois ans après l’interdiction à celle des trois années précédentes (sans tenir compte de 2016, puisque l’interdiction a été mise en œuvre en cours d’année). Si l’on ne tient pas compte des cas d’enlèvement, qui sont pour la plupart déclarés par les familles des femmes lorsque celles-ci se sont enfuies, les fémicides ont clairement diminué en termes de taux (cas enregistrés pour 100 000 femmes) et d’incidence (chiffres absolus).
Dans l’ensemble, les cas de violence domestique sont à la baisse, comme le montrent les affaires combinées relevant du Code pénal indien 498A (cruauté du mari et / ou de ses proches), 304B (mort liée à la question de la dot), de la loi sur l’interdiction de la dot et de la protection des femmes contre la violence domestique, loi de 2005 (tableau 2A et 2B).
Tableau 2A: Violence domestique à Bihar (taux) – sur une période de 3 ans avant et après 2016
Tableau 2B: Violence domestique à Bihar (nombre de cas) – sur une période de 3 ans avant et après 2016
Cependant, une fois désagrégées, les cas relevant de 498A montrent une baisse drastique, mais ceux relevant de la loi sur l’interdiction de la dot persistent – ensemble, ils constituent une part importante des cas de violence domestique qui ont légèrement diminué. Bien que les cas de violence liés à la dot ont en fait augmenté depuis avant l’interdiction, on constate une légère diminution du nombre de décès liés à la dot après l’interdiction. D’autres crimes tels que le viol, tentative de viol, maltraitance et harcèlement sexuel ont considérablement diminués (tableau 3A et 3B).
Tableau 3A: autres crimes contre les femmes à Bihar (nombre de cas) sur une période de 3 ans avant et après 2016
Tableau 3B: autres crimes contre les femmes à Bihar (taux) sur une période de 3 ans avant et après 2016
La réduction de la violence est-elle liée au fait que l’alcool soit interdit?
La réduction marginale des cas de violence ne peut cependant être uniquement attribuée à la politique d’interdiction de l’alcool; il faut également tenir compte d’autres facteurs sociopolitiques et de gouvernance. De plus, dans la pratique, l’interdiction ne se traduit pas strictement par la non-consommation d’alcool. Le nombre important de cas de violation des droits d’accise et de l’interdiction ainsi que l’augmentation des infractions liées à la loi sur les stupéfiants et les substances psychotropes (loi NDPS) (figures 4A et 4B) et plusieurs rapports de presse indiquent un certain accès à l’alcool et une augmentation de la toxicomanie.
Tableau 4A: crimes dans le contexte de la défense de l’alcool et de substances narcotiques (nombre de cas) sur une période de 3 ans avant et après 2016
Tableau 4B: crimes dans le contexte de la défense de l’alcool et de substances narcotiques (taux) sur une période de 3 ans avant et après 2016
Limitations des dossiers de police et des statistiques de la criminalité
Même si un changement positif est dû à l’interdiction de l’alcool, les statistiques de la criminalité peuvent difficilement saisir un tel changement pour les raisons suivantes. Premièrement, le signalement par les femmes et l’enregistrement par la police sont disproportionnellement faibles – comparez 40 femmes sur 100 signalant des cas de violence conjugale dans l’Enquête nationale sur la santé de la famille 2015-2016 avec moins de 15 pour 100 000 dans les casiers judiciaires. Deuxièmement, nous ne savons pas si les niveaux de signalement par les femmes survivantes sont inférieurs, égaux ou supérieurs lorsqu’il s’agit d’agresseurs alcooliques ou non alcooliques. Et troisièmement, les changements dans la classification des délits et les changements dans la manière dont les plaintes sont enregistrées résultent de l’amélioration des services de police souvent autrefois passifs ; ceci apparait clairement dans la hausse sans précédente de l’enregistrement des délits contre les femmes à travers le pays dans les années qui ont immédiatement suivi l’affaire historique du viol collectif de 2012 à Delhi.
Alors, quelle est la prochaine étape?
Pour conclure, il semble y avoir moins de violence contre les femmes au Bihar pendant la période de l’interdiction de l’alcool. Cela peut paraître prometteur pour beaucoup, y compris les prohibitionnistes. Cependant, à supposer que la prohibition soit la cause de ce déclin, son impact sur la criminalité semble maigre. En outre, les statistiques officielles du département judiciaire ne rend pas correctement compte des changements réels dans les délits, sans parler de leur réduction en raison de l’interdiction de l’alcool. Une compréhension plus nuancée de la politique d’interdiction de l’alcool ne peut émerger que grâce à une recherche primaire rigoureuse sur le terrain. À travers le prix 2020 SVRI WBG DM Award, l’Institut pour le développement humain [Institute for Human Development ] étudiera l’impact de l’interdiction sur les niveaux de VPI, les revenus des ménages et le bien-être au Bihar.
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Par Bhim Reddy et Kondepudy Bharati
Bhim Reddy, Ph.D en anthropologie, est membre de l’Institute for Human Development, New Delhi.
Kondepudy Bharati a obtenu une maîtrise en études du développement. Elle est stagiaire de recherche à l’Institute for Human Development, New Delhi.